Qui est Toyen, l’artiste surréaliste exposée en ce moment au MAM ?
Peintre visionnaire, profondément libre et politiquement engagée, Toyen, de son vrai nom Marie Čerminova (1902–1980) est l’une des figures incontournables du surréalisme et de l’art d’après-guerre. Peintre et dessinatrice, Toyen a multiplié les compositions rêveuses, érotiques, énigmatiques, qui ont fait sa singularité.
Le Musée d’Art Moderne de Paris lui consacre, jusqu’au 24 juillet 2022, une rétrospective d’ampleur, co-organisée avec la Hamburger Kunsthalle de Hambourg et la Galerie Nationale de Prague. L’occasion de découvrir ou redécouvrir la production foisonnante d’une artiste dont la vie extraordinaire avait pour quête d’embrasser ce qui lie désir et représentation.
Une artiste sans étiquette
Elle refusait de se dire peintre.Toyen (1902-1980) cherchait, explorait, questionnait. La pratique de la peinture, du dessin et du collage lui a permis de fouiller le sens de la représentation et de l’image. Et d’interroger, par ce biais, les angoisses et les désirs. Née au début du XXe siècle à Prague, Toyen quitte sa famille à 17 ans pour fréquenter les milieux anarchistes et communistes. La jeune femme fait alors un court passage sur les bancs de l’École des arts décoratifs de la ville, mais la quitte rapidement pour mieux rester libre – et singulière.
Portrait de Marie Čermínová, dite Toyen, 1919 © Reproduction Katrin Backes et Sylvain Tanquerel © ADAGP, Paris, 2022
La création de l’artificialisme
Il y a des rencontres qui bouleversent une vie. Pour Toyen, ce sera celle de Jindřich Štyrský, en 1922. Comme elle, il pratique la peinture mais sans se plier à l’enseignement des beaux-arts ; comme elle, il est en rupture avec sa famille, et conteste l’ordre social. Ensemble, ils voyagent beaucoup, découvrent l’Europe. Ils créent le groupe avant-gardiste Devetsil, exposent et inventent l’« artificialisme », dont l’intention est de « provoquer des émotions poétiques qui ne sont pas seulement optiques »… Ou quand les peintres deviennent poètes.
La femme magnétique
Au début des années 30, Toyen découvre les écrits de Sade, les lit avec ferveur. Toute sa vie, même jusqu’à 70 ans passés, l’artiste fréquente les salles de cinéma où elle découvre des films pornographiques, curieuse aussi des cabarets comme le Crazy Horse, qu’elle fréquente à Paris. Toujours dans les années 30, elle collabore avec Jindřich Štyrský à une revue érotique, illustre des textes explicites et crée de stupéfiantes compositions qui la rapprochent des idées du Surréalisme ; elle co-fonde alors le groupe surréaliste de Tchécoslovaquie… avant que la Seconde Guerre mondiale ne se déclenche, et hante son travail de visions d’horreur et d’angoisse.
Toyen, Océanie, la nuit, 1931
© Zlín, galerie régionale des Beaux-Arts
© Adagp, Paris, 2022
Une artiste à Paris
Après l’exposition que André Breton lui organise en 1947 à la Galerie Denise René, Toyen décide de s’exiler à Paris, pour échapper au totalitarisme stalinien qui, à la suite du nazisme, s’abat sur l’Europe centrale.
Elle participe alors activement à la création de la revue surréaliste Néon et poursuit ses expérimentations de peintre, composant des toiles troublantes où visions de rêves et de cauchemars se côtoient sous des titres formidablement poétiques (Le Mythe de la lumière, 1946 ; Tu t'évapores dans un buisson de cris, 1956). Dans le groupe surréaliste, elle est la discrète, la solitaire, celle qui parle peu mais bien ; Toyen est toutefois très respectée, et écoutée de ses confrères.
Toyen, Tu t'évapores dans un buisson de cris, 1956 Huile sur toile, 120 x 85 cm Collection particulière © Collection particulière / Photo Juan Cruz Ibanez © ADAGP, Paris, 2022
Toyen, Tous les éléments, 1950, Collection particulière, avec l’aimable autorisation de la galerie KODL
© Galerie Kodl / Milan Havel
© ADAGP, Paris, 2022
Toyen, Le Mythe de la lumière, 1946, Stockholm, Moderna Museet, Don des Amis du Moderna Museet,1970
© Moderna Museet, Stockholm / Photo Prallan Allsten
© ADAGP, Paris, 2022
Des collages révélateurs
L’art du collage est on ne peut plus surréaliste : avec ses associations d’idées et d’images, il offre un excellent moyen d’en dire beaucoup, de suggérer, de pointer ou de chuchoter des idées. Toyen en avait le génie. Les années passant, elle s’y consacre de plus en plus, réponse toute personnelle à l’abondance d’images qui caractérise la société de consommation.
Quoi qu’elle ait regardé, Toyen nous aura fait voir l’autre monde qui est dans celui-ci. Au moment où nous sommes de plus en plus prisonniers d’un univers d’images interchangeables, elle nous offre une chance d’en prendre conscience, sinon d’y échapper.
Toyen, Masques pour la pièce de théâtre de Radovan Ivsic, Le Roi Gordogane, 1976, collages, 35 x 25 cm, Paris, collection particulière
© Photo Katrin Backes et Sylvain Tanquerel © ADAGP, Paris, 2022
Informations pratiques
Exposition présentée jusqu'au 24 juillet 2022 au Musée d'Art Moderne de Paris.
11 avenue du Président Wilson
75116 Paris
Réservation conseillée sur notre billetterie en ligne