Rencontre avec Odile Burluraux, co-commissaire de l'exposition « The Power of My Hands »
Dans le cadre de la saison d’événements Africa 2020 (décalée à 2021), le Musée d’Art Moderne de Paris réunit seize artistes africaines ou issues de la diaspora, la plupart méconnues en France.
« The Power of My Hands » dresse un panorama vibrant de ces créatrices qui abordent tout type de supports (peinture, textile, installation, son, vidéo) et s’approprient des questions liées au corps, à la sexualité, à la représentation, mais aussi des problématiques féministes, comme les féminicides.
Odile Burluraux, co-commissaire de l’exposition avec Suzana Sousa, répond à nos questions.
« La plupart des artistes parlent d’elles-mêmes.
Elles se rendent visibles, elles se situent, elles assument leurs positions, leurs corps, leurs histoires, elles en parlent avec justesse »
Que nous dit le titre du propos de l’exposition ?
Odile Burluraux : Le titre est « The Power of My Hands. Afrique(s) : artistes femmes ». Nous l’avons voulu en Anglais car la plupart des artistes sont anglophones ou lusophones. Le pluriel entre parenthèses de « Afrique(s) » évoque cette impossibilité de cerner ces cinquante-quatre pays – et ce n’est pas ce que nous avons voulu faire.
Nous avons emprunté « The Power of my hands » à l’œuvre de Keyezua, qui n’est pas emblématique de sa production mais qui est très forte.
Il s’agit d’un panneau suspendu au mur constitué de milliers de tresses, qui évoque pour nous le fait que les mains ont du pouvoir – celles qui vont coudre, peindre, dessiner, photographier, mais aussi les mains qui peuvent guérir, soigner, prendre soin… Ce que l’on appelle le « care » aujourd’hui ou le « healing », des notions de plus en plus valorisées à cause de la pandémie.
Keyezua, The Power of My Hands, 2015
Tresses de cheveux synthétiques, 200 x 360 cm
MOVART Gallery, Luanda, Angola
© Pierre Antoine
Plus subtilement, ce sont des notions que les femmes portent instinctivement : cette importance de l’attention, de la bienveillance, du prendre soin passe par la transmission, la valorisation, à travers les photographies, les récits ou d’autres formes encore, qui sont des manières de se construire.
La plupart des artistes parlent d’elles-mêmes. Elles se rendent visibles, elles se situent, elles assument leurs positions, leurs corps, leurs histoires, elles en parlent avec justesse. C’est une façon de nous mettre face à des réalités importantes.
Kapwani Kiwanga, Praxes of a Dialectical Dialect, 2012
Vidéo, 20 min, Musée d’Art moderne de Paris, France
© KAPWANI KIWANGA / Adagp, Paris, 2020 Don du Comité pour la Création contemporaine de la SAMAM en 2020
Portia Zvavahera, Kubuda mudumbu Rinerima (Rebirth from the Dark Womb), 2019
Huile sur toile, 189 x 128 cm
Collection particulière, Zurich, Suisse
© Portia Zvavahera, courtesy Stevenson, Cape Town and Johannesburg / Photo Mario Todeschini
Billie Zangewa, Morning Glory, 2017
Soie brodée, 137 x 54 cm
Collection particulière, Paris, France © Billie Zangewa / Photo Jurie Potgieter
Lebohang Kganye, Setupung sa kwana hae II, 2013
Impression à jet d’encre sur papier chiffon de coton, 42 x 29.7 cm
© Lebohang Kganye, courtesy AFRONOVA Gallery, Johannesbourg
Kudzanai Violet Hwami, Newtown, 2019
Huile sur toile, 180 x 120 cm
Collection particulière, Londres, Royaume-Uni
© Kudzanai-Violet Hwami / Photo Andy Keate
Stacey Gillian Abe, Enya Sa, 2017
Impression sur dibond, 150 x 150 cm
Afriart Gallery, Kampala, Ouganda
© Stacey Gillian Abe / Photo Giulio Molfese
Mises à part Billie Zangewa et Kapwani Kiwanga que l’on connaît bien en France, beaucoup d’artistes sont inédites, lesquelles ?
Des artistes sont très peu connues voire n’ont jamais montrées à Paris. Par exemple, le travail de Njideka Akunyili Crosby, artiste nigériane, qui a eu un prix mais sans exposition. Ici, nous n’avons qu’une œuvre d’elle mais elle est imposante, car il s’agit d’un grand triptyque. C’est une artiste qui a une importante reconnaissance dans le milieu anglo-saxon : l’œuvre que nous présentons fait partie de la Tate Modern à Londres.
D’autres artistes n’ont pas encore été montrées, comme Portia Zvavahera, artiste peintre zimbabwéenne, ou Reinata Sadimba, Keyezua, Stacey Gillian Abe… Ana Silva a été montrée avant cette exposition mais ç’aurait dû être après, car nous aurions dû ouvrir en juin dernier, et elle vient d’entrer dans une galerie française, Magnin-A, qui l’a présentée dans une foire en janvier.
Njideka Akunyili Crosby, Predecessors, 2013
Fusain, peinture acrylique, graphite et impression par transfert sur papier
Diptyque: chaque panneau: 213.4 x 213.4 cm
© Njideka Akunyili Crosby Courtesy the artist, Victoria Miro et David Zwirner Collection Tate / Photo Sylvain Deleu
Plusieurs médiums et pratiques sont abordées par ces artistes…
C’est tout l’intérêt de l’exposition : il était important de montrer différentes pratiques, qui rendent compte de médiums aujourd’hui utilisés dans l’art.
Ce n’est pas du tout une exposition d’artisanat, mais bien d’art contemporain. La photographie, la peinture, la vidéo, l’installation sont présentes. D’autres médiums sont intégrés, comme le fil, le tissu, le cheveu (synthétique pour le coup), des robes, de la terre avec les œuvres en céramique… Les tissus peuvent être recouverts de broderies, de transferts ou de peintures, donc il y a aussi une alliance entre les techniques. Et une liberté très riche d’utilisation des médiums, sans enfermement dans une tradition.
Vue de l'exposition « The Power of my hands. Afrique(s) : artistes femmes » au musée d'Art Moderne
© Pierre Antoine
Vue de l'exposition « The Power of my hands. Afrique(s) : artistes femmes » au musée d'Art Moderne
© Pierre Antoine
Vue de l'exposition « The Power of my hands. Afrique(s) : artistes femmes » au musée d'Art Moderne
© Pierre Antoine
Vue de l'exposition « The Power of my hands. Afrique(s) : artistes femmes » au musée d'Art Moderne
© Pierre Antoine
Vue de l'exposition « The Power of my hands. Afrique(s) : artistes femmes » au musée d'Art Moderne
© Pierre Antoine
Vue de l'exposition « The Power of my hands. Afrique(s) : artistes femmes » au musée d'Art Moderne
© Pierre Antoine
Vue de l'exposition « The Power of my hands. Afrique(s) : artistes femmes » au musée d'Art Moderne
© Pierre Antoine
Pourriez-vous nous parler du catalogue ?
Il est bilingue Anglais-Français. Deux textes ont été écrits par des autrices extérieures au musée : Julie Crenn, une curatrice et critique d’art qui traite du féminisme et qui a une bonne connaissance des artistes africaines, et Zethu Matebeni, qui nous a vraiment fait un cadeau en écrivant une sorte de poème sur la condition des femmes, un texte d’empouvoirement remarquable.
Suzana Sousa (co-commissaire) et moi-même avons écrit chacune un texte. Il y a aussi seize entretiens avec les artistes ; enfin, quinze, car pour Reinata Sadimba, Suzana Sousa, qui l’a rencontrée au Mozambique, a choisi de faire une visite d’atelier, car c’est quelqu’un qui parle peu.
Certains des entretiens sont très longs, c’est une matière riche, dense, qui donne à lire leur envie d’être artiste, les questions abordées dans leur travail, et aussi ce que chaque artiste lit, regarde, de qui elle s’inspire… Il y a une vraie ouverture : c’était important de leur donner la parole longuement, généreusement.
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